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Agatange

Illustration

21 mars 1647 : Baptème de Agatange Pottier
- Ecorpain (72) -

La liste de Vieux Prénoms de Quebec connait le prénom Agathange (et Agathonge, mais est-ce une coquille ?). On ne le trouve pas dans les statistques du XXème siècle. En cherchant, j'ai découvert tout de même quelques autres Agat(h)ange : Une naissance en 1704 à Sandoy (51), une naissance en 1715 en Indre-et-Loire, une naissance en 1774 en Ardèche, une naissance en 1797 dans le Nord, une union en 1813 dans le Nord, une naissance en 1855 dans l'Indre et la naissance de Jacques Joseph Bienvenu Agatange à Malincourt (Nord).
En 1774, Agatange Le Roy publie un livre sur le traitement de quelques maladies. En 1824, Pierre Agatange Odier publie un livre sur l'Administration Militaire. En 2003, François Agathange Hallopeau obtient une patente pour un "présentoir".
Mais, le plus bel exemple d'un Agathange, je l'ai trouvé sur un blog de juin 2005 où un blogueur belge raconte l'histoire de son grand-oncle Agatange Poot, fils de Cyril Poot, un ancien zouave. Vous connaissez certainement ces soldats du pape, durant la période 1867-1870, qui le défendirent vainement contre ce scélerat de Garibaldi. Les soldats venaient surtout de Belgique et des Pays-Bas et les officiers, de France. Originairement, les zouaves étaient des troupes berberes en Afrique du Nord et les soldats du pape portaient les mêmes uniformes si pratiques (peu évident à cette époque).
Ce zouave belge avait donc nommé son fils Agathange et qu'en dit cet Agatange ? : "Je suis fier d'être le SEUL Agatange de Belgique !".

Reste à trouver d'où vient ce prénom. Le nom est d'origine grecque et nous verrons que plusieurs d'Agatange ont leurs racines réelles ou spirituelles dans les pays d'expression ou de culture grecque. La signification est "bonnes nouvelles".
Le plus ancien Agatange que j'ai trouvé est un écrivain au service d'un roi célèbre, connu de tous, Tiridate III, roi d'Arménie de 283 (ou selon d'autres sources, de 298) à 330. Certains le nomment Tiridate IV car le premier Tiridate a régner 2 fois (faut le faire, non ?). De 56 à 59 et de 62 à 72. Je n'en ai pas cherché la raison.
Bien que la plupart des sources disent qu'Agatange était au service du roi, ou son secrétaire, et qu'il dit lui-même avoir été un témoin oculaire, nous devons prendre ces choses "cum granis salis" et le placer vers la fin du IVème, début du Vème siècle. Surtout vu le style et la langue employée. Son nom d'Agatange est probablement un nom fictif.
Il a écrit "L'Histoire des Arméniens" et rien qu'à cause du titre, on peut le comparer avec "L'Histoire des Francs" de Grégoire de Tours, plus tardive. Agatange serait originaire de Rome. Il a étudié le grec, le latin et l'arménien. Son manuscrit original était en grec. Il y a une version arménienne, et des variantes en arabe et en géorgien. Il y a aussi des publications de ce livre en français, au XIXème siècle (Victor Langlois), et au XXème siècle (1973, université de Louvain). Le sujet principal de ce livre est la Conversion du roi Tiridate III qui resta longtemps païen alors qu'il y avait déjà beaucoup de chrétiens. Pas étonnant, car les apôtres Thaddeus et Bartholomé y évangelisait déjà au Ier siecle. C'est pourquoi les chrétiens arméniens appellent toujours leur église "Eglise Apostolique Arménienne".
La Conversion ne fut pas facile malgré les efforts de son adversaire, Saint Grégoire l'Iluminé. Détail piquant, le père de Grégoire avait assassiné le père de Tiridate, en 250. Grégoire est fidèle envers Tiridate mais lui, ne veut rien savoir. Il le fait jeter en geôle pour le laisser pourrir. En 300, Tiridate tombe gravement malade, personne ne peut le guérir. Sa soeur, la bien connue, Xosroviduxt (si vous cherchez un prénom original pour votre (petite)fille...) fait un rêve dans lequel on lui dévoile que seul Grégoire pourra guérir son frère. Elle le lui raconte et entre deux gémissements il balbutie : "Impossible, il y a longtemps qu'il est mort". Mais X..etc envoie quelqu'un pour vérifier et, parbleu, il était vivant. Pourtant, on ne lui avait jamais donner à manger. Miracle ? Non. Une femme pauvre, mais dévote, jetait chaque jour un morceau de pain dans la prison de Grégoire et comme il y avait de l'eau dans cette géole, il était extrêmement svelte, mais, vivant. Le roi le fait tirer de sa cellule et, bien sûr, il fut guéri d'un coup. Alors, il se fit baptiser et, en 301 (ou 314), il proclama que la religion chrétienne serait la religion d'Arménie. L'Arménie fut le premier pays à le faire. Grégoire, qui a la même stature que Saint Martin en France, est élu comme premier Catholicos (terme employé jusqu'à nos jours pour le Patriarche).
Le livre d'Agatange situe toute l'histoire autour de cette conversion. C'est une véritable hagiographie. Bien que cela fasse diminuer la valeur strictement historique, le livre nous donne beaucoup d'information sur l'ancienne Arménie (dont j'ignorais tout, mais, je ne suis pas le seul).

Tout cela est bien beau, mais ce n'est pas un Saint. Il y en a tout de même un, Agathange ou Agathangelus, probablement originaire de Rome, converti après une rencontre avec Clément, à Rome. Ils partent ensemble à Ancyra pour y évangéliser la région. Ils sont martyrisés en 309 à Ancyra (actuel Ankara en Turquie). Le diacre Agathange et son évêque Clément ont leur fête le 23 janvier. Leur mort prend place au milieu de la grande persécution de l'empereur Dioclétian, à partir de 303. La persécution fut la plus violente dans les pays de l'est, en Turquie et en Palestine.
En 1608, il y a eu en France, à Chabreuil, un spectacle "La Décollation de Saint Clément et Saint Agathange". "Décoller" n'est rien d'autre qu'un ancien terme pour décapiter, ce qui est, comme vous le savez, assez mortel. Je ne suis pas 100% sûr, mais cela peut être un spectacle des Jésuites qui organisaient de tels trucs pour rendre plus vive l'idée de convertir des gens des pays jadis catholiques, car il y a eu d'autres spectacles joués en d'autres pays d'Orient.

Mais, ce saint est-il celui qui explique les Agathange du XVIIIème et XIXème siècle ? Il me semble que non, donc cherchons plus loin. Et voilà NOTRE Agathange !
Agathange de Vendôme (1598, Vendôme - 1637, Ethiopie). Disons tout de suite que ce n'est pas son nom de baptême, il s'appelait tout simplement François Noury et il fut l'un des plus remarquables missionaires du XVIIème siècle. Pour comprendre sa vie, il faut connaître son époque. Pour un catholique croyant, c'est le temps de la Contre-Reforme, la réaction aux mouvements protestants de Luther, Calvin, Zwingli et autres, du début du XVIème siècle. Ces "attaques" de l'Église de Rome étaient menaçantes et la défense contre ces nouveaux "hérétiques" s'organisa au cours du XVIème siècle. Sur le plan du clergé, le plus important est la création d'un ordre des "Soldats du Pape", les Jésuites. Un ordre qui veut regagner le terrain perdu à l'aide d'enseignement solide, de recherches scientifiques et de missions aussi bien en Europe, qu'aux pays nouvellement conquis (Asie, Amérique latine). Leur missionaire le plus connu fut Saint François Xavier.
Cependant, il y avait un autre ordre, formé au XVIème siècle, qui a la même ardeur à missioner mais, d'une toute autre manière. Cet ordre naquit d'un certain "fondamentalisme". Des moines trouvant que l'ordre des Franciscains s'était perdu, s'étaient éloignés du chemin montré par leur fondateur, Saint François d'Assise. Ils voulaient vivre comme lui, comme Sainte Claire et les premiers Franciscains. Humblement et extrêmement sobrement. C'est ainsi que, malgré les oppositions et les bagarres, se developpa "OFM Cap", c'est à dire "Ordo Fratrum Minorum Capucinorum" (inventeurs du cappuccino ?). Pour faire simple : Les "Frères mineurs" sont tous des franciscains et les "Capucins" sont ceux qui se sont séparés de la lignée officielle des Observants (déclaré "officielle" en 1517), à partir de 1528. La "naissance" a duré de 1528 à 1625, mais, déjà, en 1581, ils reçoivent le support du pape Sixte V pour leurs travaux missionaires parmi les Protestants et parmi les Eglises Orientales.
Donc, notre François Noury entre dans cet ordre (il me semble que ça devait être autour 1620-1625). Il prit alors le nom de Agathange(lus). Il est envoyé par François Leduc de Tremblay (nom capucin: Père Joseph) sur la demande du pape Urbain VIII, en 1630 à Aleppo et en 1633 au Caire. Agathange est le chef de cette mission. Des chrétiens ne s'étaient pas joints au pape au cours du IVème, Vème siècle. C'étaient des Catholiques Syriens, des membres de l'Église Apostolique Arménienne (voir ci-dessus), et aussi les Coptes d'Éthiopie. Le but était de faire rentrer ces catholiques sous les ailes de Rome. Agathange eut pas mal de succès. Il vit en Egypte avec un autre Français, Cassian de Nantes. Ensemble, ils vont, en 1637, en Ethiopie où ils sont trahis par un lutherien allemand. On les emprisonne et on les lapide à mort en 1638.
Cassian de Nantes a pris le nom d'un saint martyr, Saint Jean Cassian, mort en 298, lequel avait lui-même des contacts en Egypte. Agatanghe a été déclaré "bienheureux" en 1905. Je n'ai pas pu trouver le même honneur pour Cassian de Nantes. Pour ceux et celles qui ne sont pas au fait de la hiérarchie au Ciel, les Saints, c'est la première division, les Bienheureux c'est la 2ème division. Si vous et moi y entrons (pourquoi pas ?) nous ne serons que des "amateurs". Nous chanterons les psaumes seulement dans des choeurs de fond (background-vocals). Je doute que nous soyons pourvus d'un joli couple d'ailes. On verra.

Tout ceci forme l'élan. Et maintenant le Saut. Mettons an parallèle la mort d'Agatange en Ethiopie, en 1638, et le baptême d'Agathange à Ecorpain, en 1647 (voir l'illustration). Où Agathange, mort en 1638, est-il né ? A Vendôme. Prenons la carte. De Vendôme vers le nord, on va en ligne directe à Saint Calais (72). Ecorpain se trouve dans la sphère cléricale de Saint-Calais. La distance est à peu près de 40 à 45 km. C'est le curé d'Ecorpain qui est le parrain. Pourquoi ne pas penser qu'il a entendu cette histoire de martyr et bien que Agathange de Vendôme ne soit pas déclaré Saint, le curé le considérait certainement ainsi. Le vieux martyr de 309 en Turquie lui fournit l'occasion de nommer l'enfant Agathange(lus). Possible ? Bla-bla ? Probable ? Incroyable ?

Un dernier élement trouvé. Il y a une Messe Agatange, composition anonyme du XVIIIème siècle. Elle existe sur CD, exécutée par un choeur grégorien, et sur un autre, où Jean-Patrice Brosse (organiste et claveciniste) exécute une version instrumentale.